La tristesse de se rendre compte
Bien cher journal
Je repense à mon frère déficient intellectuel. Un jour, il y a bien longtemps, je le sentais frustré. Malgré son manque de mots, je pense qu'il voulait sa place comme un adulte entier, comme une personne qui décide pour elle-même. En gros, il peut décider pour lui, mais dans certaines sphères, il a besoin d'aide. Et dans sa colère et dans sa frustration, je me souviens d'une fois, en particulier. Nous allions dans un café, il me disait à quel point il était choqué qu'on décide pour lui, que «c'était un adullll».
Je le comprenais plus qu'il ne pouvait l'imaginer, mais comment faire comprendre à un homme qu'il a des limites et que c'est là qu'il a besoin de nous, sa famille...
J'étais dans ce café avec lui et lui demande de regarder les hommes autour de nous. Ce qu'il fit. Je lui ai demandé ce qui peut bien différencier les hommes qu'il voyait de lui... Pas de réponses. Je lui ai demandé comment ces hommes pouvaient bien s'être rendus à ce café. Là, je le voyais réfléchir. Pas de réponses pour autant.
Je lui ai dit que ces hommes étaient venus par eux-mêmes, qu'ils conduisaient une auto... «Pas toi. Tu n'auras jamais de permis de conduire, c'est platte, mais c'est ça!» Et, dans ce café, j'ai vu mon frère verser des larmes. Le genre de larmes qui coulent à grosses gouttes, celles qui sortent quand les yeux sont trop plein, celles qui coulent sans faire de bruit. Je savais qu'il comprenait. Je savais qu'il venait d'apprendre quelque chose de douloureux, qu'il assimilerait cette diffférence cruelle, mais combien nécessaire pour son developpement. Je lui ai rendu service.
Plus tard, j'ai vu mon père pleurer de la même manière. Je le revois, assis au coin de la table, en train de verser ces larmes sans bruit. Je savais qu'il pensait à sa mort prochaine. Il ignorait que je le regardais, j'observais souvent mon père. Je pense que je l'aimais secrètement. En tous cas, je le comprenais. Je voudrais tant m'excuser de ne pas l'avoir aimé comme j'aurais dû le faire. Toujours est-il qu'il pleurait, sans un mot, sans réconfort. Il pleurait, sans bruit, se sachant condamné.
Bien cher journal
Je me suis rendu compte que jamais je ne serais mannequin quand j'ai eu presque 18 ans. Moi qui croyais que si on voulait, on pouvait, du haut de mon mètre cinquante, j'ai appris en faisant rire de moi que je n'avais pas la grandeur ni le poids pour être mannequin. Pas que je voulais l'être à tout prix, mais je regardais cette possibilité. Quand on veut, on peut! J'ai compris que c'était une idéologie contemporaine qui se voulait stimulante, mais aussi mensongère. Et c'est exactement ce genre de mensonge qui me répugne maintenant. Je ne veux plus d'espoir, je ne veux plus de mensonges des autres. Ces mensonges ne sont qu'une manière de se sortir de la peine des autres en ayant l'air optimiste. Ça me fait penser à Marie-Thérèse, une prof en techniques infirmières qui, entre deux pof de cigarette (pour dire à qule point c'était dans un autre temps), nous disait de ne jamais s'avancer pour vouloir réconforter un patient en mentant sur son test en disant que «tout allait bien aller». «Vous n'êtes pas des devins et vous n'en savez rien!» Je savoure la sagesse des propos de Marie-Thérèse et me rends compte à quel point ce genre d'optimisme n'est qu'un désir de s'éloigner de l'autre.
J'ai récemment versé ces grosses larmes sans bruit. Je me rends compte à quel point je ne vaux plus grand chose. C'est dur à vivre. Ça se vit seule. Ça se réfléchi seule. Je me rends compte que tous les projets que j'ai pu avoir sont terminés.
Je sais bien que les cimetières sont remplis de gens qui ont versé le même genre de larme que moi, sauf que là, c'est difficile parce que c'est moi qui les verse.
XXX Matante Bizzz