La vie: un banquet -partie 2-
Je me demande comment il se fait que je sois dans ce banquet. Mais j'y suis. Et l'idée d'être dans ma balançoire, mon monde parallèle, me fait comprendre qu'en fin de compte je me trouve bien dans cette réception. J'ai du café ou du vin, et je peux m'assoir dans un fauteuil confortable. J'ai à manger -qui est vraiment bon et à volonté-, j'ai à boire, j'ai du confort et des serviteurs pour me remplir mon verre. Je peux me lever, marcher, danser, jaser, trouver des affinités avec d'autres qui sont à ce banquet. En fin de compte, je suis bien heureuse d'avoir le privilège d'avoir cette réception à ma portée. Une si belle réception!
Et je me rends compte qu'il faudra que je quitte. Je dois l'avouer, au début j'étais mal mais je m'y suis adapté. J'ai compris que ma balançoire n'existait pas vraiment, que la seule place pour vivre était ce banquet. Et pourtant, je devrai le quitter. De force ou volontairement. Ce que je sais, c'est que ce banquet finira pour moi. Et pour les autres aussi. La finale n'est pas en même temps ni dans les mêmes circonstances pour chacun. Il arrive que certains sont jetés dehors du banquet avec une cruauté féroce et injuste, d'autres fois, ça se passe en douceur. Il arrive que certains s'y sentent tellement mal qu'il s'en vont, sans qu'on sache exactement pourquoi... Et on pleure leur départ. Mais on sait que notre tour viendra. On ne sais pas comment le maître d'hotel nous éjectera. Et la peur s'instale. On se demande si on aura mal de partir, si on voudra bien se laisser jeter dehors, si on acceptera de quitter les lieux... Et plus on réfléchit, plus la peur grandit et s'estompe. Mais la peur devient tristesse de quitter un si beau banquet. On devra laisser notre flûte à champagne sur le coin de la table, faire nos adieux et dire qu'on sera bien un coup parti. En fait, on devra se soucier de la peine des autres. Les rassurer un peu car on voit bien la trouille que ça peut leur flanquer de voir qu'eux aussi devront partir de ce banquet si joli.
Et je pense à la tristesse de déposer ma flûte remplie de champagne sur le coin de la table et de partir sans laisser d'adresse...